Dieu crée par sa parole. Il n’a qu’à dire la chose qu’il
veut voir advenir et hop, c’est là. La traduction nous fait toujours perdre
bien des subtilités. Celle de la Bible n’y échappe pas. Elle commence avec « Au
commencement, Dieu créa le ciel et la terre ». Au commencement est la traduction bien imparfaite de Bereshit qui
signifie plutôt En tête. Avant de
commencer un travail, on fait une entête. Mais En tête peut également signifier dans la tête. Comme si Dieu pensait à ce qu’il allait dire avant de
le dire. « En tête, Dieu créa le ciel et la terre. » L’expression « le
ciel et la terre » signifie l’ensemble
de l’univers. On peut trouver étrange que les deux termes soient placés sur
le même plan quand on sait la dimension de la Terre par rapport à celle du ciel…
Mais n’y a-t-il pas autant de choses différentes sur la Terre que dans la totalité
du ciel? Bref, il pense à ce qu’il va dire. Il se figure « dans sa tête »
l’univers, comme s’il en faisait un plan. Puis, il s’exécute et prononce un
discours de six jours qui va devenir l’univers.
Le langage humain a gardé une très infime partie de cette puissance
créatrice. Je pense au titre d’un livre du philosophe JL Austin Quand dire c’est faire. D’où le principe
des incantations. Le dire une fois réalise infinitésimalement la chose dite,
mais le répéter constamment ajoute toujours un peu plus de la réalité qui est
dite.
Le chapelet part de ce principe. La première partie de la
formule est tirée de deux épisodes de l’Évangile de Luc. La première est un
extrait de l’annonce fait par l’Ange Gabriel à Marie. Il n’y a pas eu encore
conception. L’Ange vient proposer à Marie d’être la Mère du Sauveur. Marie est
étonnée de ces paroles, on la sent un peu effrayée. On sait quelles ont été les
conséquences la première fois qu’un ange (déchu, certes, mais un ange quand
même) est venu faire une proposition à une femme… Ève a cru le serpent, mais ce
n’est pas la foi qui l’a motivée, c’est l’orgueil. Marie ne tire aucun orgueil
à être la Mère du Sauveur. Elle dirait non à tout ce qui pourrait contribuer à
la mettre à l’avant-plan. C’est pourquoi on dit que c’est la foi qui la fait
répondre. Abraham, le père de la foi, devait sacrifier son fils. Marie doit
sacrifier sa vie secrète et retirée. Elle accepte. Puis, les mots suivants de
la formule : Vous êtes bénie entre
toutes les femmes et Jésus le fruit de vos entrailles est béni sont
prononcés quelques mois plus tard par sa cousine Élisabeth. Il y a donc un
lapse de temps entre les propositions Le
Seigneur est avec vous et Vous êtes
bénie entre toutes les femmes… Lapse de temps au cours duquel se réalise l’événement
le plus grandiose et le plus mystérieux de l’histoire : la
conception de Dieu fait homme. Cet événement est dit par le silence entre les
deux propositions, et c’est lui que nous voulons dire en répétant le Ave. À force de le dire, (par le silence
puisque les choses les plus grandes ne peuvent s’exprimer qu’ainsi) l’événement
se réalise toujours un peu plus. Quoi me direz-vous, cet événement, date de
vingt siècle, il s’est ou ne s’est pas produit, et le fait de le répéter n’y
changera rien. À la rigueur, on peut concevoir que de répéter Il fera beau demain trois millions de fois
puisse influencer la météo du lendemain. Mais s’il a plu hier, il est inutile
de répéter ad nauseam Il a fait beau hier.
Ça va peut-être changer nos souvenirs de l’événement mais certainement pas l’événement
lui-même… Saint Pierre Damien a déjà réfléchi sur la possibilité de prier Dieu pour
des événements passés… Mais il ne s’agit pas de cela. On répète 53 fois l’Incarnation
de Jésus non pas pour qui se réalise il y
a 2000 ans mais pour qu’il se réalise maintenant, toujours un peu plus en nous. Pour qu’Il naisse un peu plus
en nous et que l’on puisse dire, comme saint Paul : « Ce n’est plus
moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi. » (Ga 2,20).
Il y a donc beaucoup plus là qu’une simple piété populaire
adaptée aux masses incultes.
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