lundi 29 juillet 2013

Notes de lecture sur Faust

Donc je me prends au mot (voir article précédent) et décide de consacrer trois heures de ma journée à la lecture de Faust. Ce que vous trouverez dans ce post, ce sont les notes que j’ai prises au cours de ces trois heures. Comme tous les classiques, on le trouve aisément en ligne (dans la traduction de Nerval, yé!) Je vais également sur Youtube et je me mets le premier album de Faust, le groupe krautrock allemand. Bref, le bonheur total.

Ce qui va donc suivre consiste donc en des notes de (3 h de) lecture.  J’en ai pour 11 pages sur Word en Calibri 11. J’aime mieux vous avertir d’avance. Le prochain post sera une réflexion plus approfondie à partir de ces notes. Vous pouvez y passer immédiatement et laisser faire ce message-ci…


Allons-y.

Le « Prologue sur le théâtre » oppose la culture populaire à la culture savante. Le poète est dégoûté par la masse à la recherche de divertissement alors qu’il vise l’absolu par son art :

Ne me retracez point cette foule insensée,
Dont l’aspect m’épouvante, et glace ma pensée,
Ce tourbillon vulgaire, et rongé par l’ennui,
Qui, dans son monde oisif, nous entraîne avec lui ;
Tous ses honneurs n’ont rien qui puisse me séduire :
C’est loin de son séjour qu’il faudrait me conduire,
En des lieux où le ciel m’offre ses champs d’azur,
Où, pour mon cœur charmé, fleurisse un bonheur pur,
Où l’amour, l’amitié, par un souffle céleste,
De mes illusions raniment quelque reste.....

Ce poète parle à un directeur de troupe. Robert Lepage bien sûr :

Surtout, de nos décors déployez la richesse,
Qu’un tableau varié dans le cadre se presse,
Offrez un univers aux spectateurs surpris.....
Pourquoi vient-on ? pour voir : on veut voir à tout prix.
Sachez donc par l’
effet, conquérir leur estime,
Et vous serez pour eux un poète sublime.

Mais le poète est un puriste.

Quel que soit du public la menace ou l’accueil,
Un semblable métier répugne à mon orgueil ;

 Il y a pour lui une frontière. Le directeur n’est pas d’accord. Le poète lui répond :

Faut-il donc, à ton sens, faut-il que le poète,
Dont Dieu même, ici-bas, se fit un interprète,
Aille, déshonorant ce titre précieux,
Répudier les dons qu’il a reçus des cieux ?.....

Le poète dont il parle est évidemment le roi David. Il continue plus loin :

Rends-moi […] Ma jeunesse !....
En un mot, sache en moi ranimer
La force de haïr, et le pouvoir d’aimer.

Voilà, si je ne me trompe ce que va exiger le docteur Faust, homme le plus savant de son temps mais qui a perdu le pouvoir d’aimer… On pourrait (on l’a certainement fait) méditer longtemps sur ces deux vers.

Le prologue se termine par les mots du directeur (Robert Lepage) :
La foule veut du neuf, qu’elle soit satisfaite !
À contenter ses goûts il faut nous attacher ;
Qui tient l’occasion ne doit point la lâcher.
Mais, à notre public tout en cherchant à plaire,
C’est en osant beaucoup qu’il faut le satisfaire ;
Ainsi, ne m’épargnez machines, ni décors,
À tous mes magasins ravissez leurs trésors,
Semez à pleines mains la lune, les étoiles,
Les arbres, l’Océan, et les rochers de toiles ;
Peuplez-moi tout cela de bêtes et d’oiseaux,
De la création déroulez les tableaux,
Et passez, au travers de la nature entière,
Et de l’enfer au ciel, et du ciel à la terre.

Du neuf. Comment rendre accessible Faust aux Québécois d’aujourd’hui? Des lasers, des effets spéciaux, du flash! Puisse cela ouvrir la voie à une saine méditation métaphysique.

S’ensuit d’ailleurs le « Prologue dans le Ciel » qui est une variation sur le prologue du livre de Job. Les acteurs sont les mêmes : Dieu, les Anges et Méphistophélès qui n’est autre que le Diable. Les trois Archanges font ce que les Archanges sont censé faire aux cieux quand, de Dieu, ils ne font les commissions : ils chantent Ses louanges. Bien bellement puisque Goethe et Nerval ne sont pas, en poésie, les premiers venus. Puis Méphisto arrive et raille un peu ses prédécesseurs.

Pourtant, ne me fais pas un crime
De ce que mon langage est nu peu moins sublime
Que celui de tous ces messieurs :
Dire tous ces grands mots, autant vaut ne rien dire ;
Quand ma voix les prononcerait,
Je serais sûr de bien te faire rire,
Si pourtant ta grandeur ici se le permet.

Oui la Création est une merveille d’harmonie et de beauté… Seule ombre au tableau : l’Homme.

Le petit dieu du monde est toujours aussi drôle
Qu’au jour de la création,
Tant bien que mal jouant-son rôle ;
Mais, du flambeau divin, qu’il appelle raison,
Ne faisant bien souvent usage,
Que pour ajouter à ses maux,
Et pour ravaler ton image
Au rang des p1us vils animaux.
Pour moi, je comparerais l’homme
(Sauf le respect que je te dois),
Aux insectes pattus, que cigales il nomme ;
De prés en prés, de bois en bois,
Dansant toujours la même danse,
Et chantant la même romance :
Ah ! qu’il ressemble bien à ces animaux-là !
Hors du chez soi, sans cesse il faut qu’il coure,...
Et s’il ne faisait que cela…
Mais non, pas un fumier où son nez ne se fourre.

Difficile de ne pas lui donner un peu raison. Mais seulement un peu… Comme d’habitude, il généralise outrageusement. Comme d’habitude, il ne tient pas compte du reste. Ce petit reste qui sauve tout et qui fait qu’il y a encore une humanité. Satan est bien sûr l’Accusateur selon l’étymologie. Le Seigneur répond :

N’en as tu pas à dire plus ?
Ne viendras-tu jamais ici que pour médire,
Et sur le terre, enfin, n’est-il que des abus ?

J’ai parlé de la médisance hier… Action satanique s’il en est… Puis Dieu propose à son admiration Faust comme il l’avait fait de Job dans la Bible. Dans ce dernier cas, il permettait à Satan d’aller le tenter par le deuil et la souffrance. Cette fois, Satan usera d’une autre sorte de tentation. Une tentation adaptée à son caractère. Comment définir ce caractère? Voyons ce qu’en dit Méphisto :

Il vous sert en effet d’une étrange façon ;
Rien ne se sent chez lui des choses de la terre,
Ni ses actes, ni ses discours ;
Et son esprit plane toujours
Dans un espace imaginaire.

Un scientifique puissant mais un peu dans son monde éthéré. Méphisto veut le faire tomber. Il demande carte blanche. Il réussira, alors qu’il avait échoué avec Job.

Puis on a une tirade de Faust qui renvoie directement au désenchantement de Salomon dans l’Ecclésiaste (ou Qoéleth). À Socrate aussi :

Philosophie, jurisprudence, médecine, et toi aussi, malheureuse théologie ! je vous ai donc étudiées avec grand’peine, et maintenant me voici, pauvre fou, tout aussi sage que devant. Je m’intitule, il est vrai, maître, docteur, et depuis dix ans je promène çà et là mes élèves par le nez. — Et je vois bien que nous ne pouvons rien savoir ! Voilà ce qui me brûle le sang !

Il est allé au bout de la science de son temps. Que fait-on alors?

Il ne me reste plus qu’à me jeter dans la magie.
[…]
si enfin je pouvais connaître tout ce que le monde cache en lui-même, et, sans m’attacher davantage à des mots inutiles, voir ce que la nature contient de forces et de semences éternelles !

Archétype du savant fou... Il invoque l’Esprit de la Terre, qui lui apparaît. Est-ce le Saint Esprit? Je continue ma lecture et il semble bien que oui. Faust se présente à lui comme son égal. 
Est-ce le péché impardonnable dont parle l’Écriture? La conception de l’Esprit-Saint comme personne de la Trinité me semble ici problématique…

Son serviteur Vagner entre et la vision disparaît. Faust n’est pas content. Vagner dit entre autre ceci :

J’ai entendu dire souvent qu’un comédien peut en remontrer à un prêtre.

Le vrai Wagner aurait plutôt parlé du musicien… S’ensuit une discussion sur l’art (Vagner est écrivain), avec cette citation célèbre :

Ah Dieu ! l’art est long, et notre vie est courte !   

Il continue :
Pour moi, au milieu de mes travaux littéraires, je me sens mal souvent à la tête et au cœur. Que de difficultés n’y a-t-il pas à trouver le moyen de remonter aux sources ! Et avant d’avoir fait la moitié du chemin, un pauvre diable peut très-bien mourir.
Eh bien voilà, les amis ce que sera le thème principal de ce blogue, et qui explique son drôle de nom : Que de difficultés n’y a-t-il pas à trouver le moyen de remonter aux sources ! Nous affirmons que la source qui a inspiré les grooves les plus puissants de Funkadelic est la même que celle qui a inspiré les plus belles pages du chanoine Groulx.
L’entretien se termine par une petite mise en garde, aux animateurs de blogues par exemple :
Le peu d’hommes qui ont su quelque chose, et qui ont été assez fous pour ne point garder leur secret dans leur propre cœur, ceux qui ont découvert au peuple leurs sentimens et leurs vues ont été de tout tems crucifiés et brûlés.
Vagner quitte et alors Faust fait part de ses prétentions :
Moi, l’image de la divinité, qui me croyais déjà parvenu au miroir de l’éternelle vérité ; qui, dépouillé, isolé des enfans de la terre, aspirais à toute la clarté du ciel ; moi qui croyais, supérieur aux chérubins, pouvoir confondre mes forces indépendantes avec celles de la nature, et, créateur aussi, jouir de la vie d’un Dieu, ai-je pu mesurer mes pressentimens à une telle élévation ?...
Voilà. Il ne veut pas seulement déchiffrer la nature, il veut la créer. Le complexe de Dieu dans toute sa splendeur.

Une matière de plus en plus étrangère à nous s’oppose à tout ce que l’esprit conçoit de sublime ; quand nous atteignons aux biens de ce monde, nous traitons de mensonge et de chimère tout ce qui vaut mieux qu’eux. Les nobles sentimens qui nous donnent la vie languissent étouffés sous les sensations de la terre.

Conséquence de la Chute. Un des drames de Faust, comme de la plupart des hommes est qu’ils ne voient pas cette incapacité comme venant d’un dérèglement originel, mais de l’essence de l’humain dans sa création même. Le dérèglement n’était pas dans le plan d’origine. Il est venu après. Ça change tout.

Puis, une superbe description du control freak comme on en connait tous, et qui est une forme bénigne de god complex :

Au fond de notre cœur, l’inquiétude vient s’établir, elle y produit de secrètes douleurs, elle s’y agite sans cesse, en y détruisant joie et repos ; elle se pare toujours de masques nouveaux : c’est tantôt une maison, une cour ; tantôt une femme, un enfant ; c’est encore du feu, de l’eau, un poignard, du poison..... Nous tremblons devant tout ce qui ne nous atteindra pas, et nous pleurons sans cesse ce que nous n’avons point perdu.

Superbe! Suit une référence claire à un Psaume :

Je n’égale pas Dieu ! Je le sens trop profondément ; je ne ressemble qu’au ver, habitant de la poussière, au ver, que le pied du voyageur écrase et ensevelit pendant qu’il y cherche une nourriture.

Bon là j’avoue que je commence à le trouver un peu con. Méditation sur tous ses livres et tous ses instruments d’alchimie. Il vit dans un laboratoire poussiéreux. Puis il prend une fiole qui contient une drogue, je crois. Il la porte à sa bouche et le Chœur des Anges vient chanter un Gloria qui célèbrerait la résurrection du Christ plutôt que sa naissance :

Christ vient de ressusciter ;
Joie à la race mortelle !
Il veut en elle effacer
La faute originelle.

Puis un chant des vierges au tombeau. Et alors retentit le drame de Faust. Rendu au bout du chemin de la science, où aller? Deux possibilités à part le repliement : la magie ou la foi. On a vu que Faust a considéré la magie.

Et la foi?

Pourquoi, chants du ciel, chants puissans et doux, me cherchez-vous dans la poussière ? Retentissez pour ceux que vous touchez encore. J’écoute bien la nouvelle que vous apportez, mais la foi me manque pour y croire : le miracle est l’enfant le plus chéri de la foi. Pour moi je n’ose aspirer à cette sphère, où retentit l’annonce désirée ; et cependant, par ces chants dont mon enfance fut bercée, je me sens rappelé dans la vie.

Une tendresse nostalgique n’est pas la foi! Qu’on se le tienne pour dit, catholique. Faust ne veut pas s’en faire accroire.

Chœur des disciples du Seigneur lors de l’Ascension. Chœur des Anges. Que peut comprendre de tout ça une personne qui n’a aucune culture biblique? On ne flushe pas la Bible sans flusher Faust. Heureusement qu’il reste Chrystine Brouillet.  

Fin de l’acte. On se retrouve devant la porte de la ville. Des gens de la plèbe. Conversations futiles de jouisseurs plébéiens.

[J’en suis au troisième album de Faust en écrivant ces mots. Faust Tapes. « J’ai mal aux dents/ J’ai mal aux pieds aussi ». Mortel! Je n’avais pas compris ces mots la dernière fois que j’ai écouté cet album, il doit bien y avoir 10 ans de cela. Solo free sax sublime!]

La main qui samedi tient un balai, est celle qui dimanche te caresse le mieux.

Un bourgeois dit quelque chose qui me fait penser à notre condescendance devant les drames qui se passent loin de chez nous et dont nous prenons connaissance en écoutant la tv :

Je ne sais rien de mieux, les dimanches et fêtes, que de parler de guerres et de combats, pendant que, bien loin, dans la Turquie, les peuples s’échinent entre eux. On est à la fenêtre, on prend son petit verre, et l’on voit la rivière se barioler de bâtimens de toutes couleurs ; le soir on rentre gaîment chez soi, en bénissant la paix, et le tems de paix dont nous jouissons.

À quoi un autre répond :

Je suis comme vous, mon cher voisin, ils peuvent bien se fendre la tête, et chez eux tout peut bien aller au diable : pourvu que chez moi tout aille comme devant.

Trésors d’empathie!

On revient à Faust et Vagner. Le docteur chante le printemps, assimilé à la Résurrection, et envie ces gens simples -- qu’il méprise par ailleurs pour leur ignorance et leurs plaisirs vulgaires -- d’y trouver une joie véritable. Il décide donc de se mêler à cette plèbe. Un paysan lui est reconnaissant :

Monsieur le Docteur, il est beau de votre part de ne point nous mépriser aujourd’hui, et, savant comme vous l’êtes, de venir vous mêler à toute cette cohue.

On apprend que le père de Faust a sauvé le village de la peste et que Faust lui-même a sauvé plus d’un habitant, allant de maisons en maisons pour aider les malades… Faust leur dit de rendre grâce à Dieu. Plus loin, Faust avoue à son serviteur que la science de son père, c’était n’importe quoi et qu’il a bien plus empoisonné de gens qu’il n’en a sauvé. Aussi ces éloges sonnent-elles à ses oreilles comme un outrage.

La réponse de Vagner se termine pas ces mots :

…homme, si tu fais avancer la science, ton fils pourra aspirer à un but plus élevé.

Faust voudrait pouvoir s’élancer dans les espaces azurés. Vagner répond qu’il préfère se jeter dans les livres et parchemins. Il retient son maître de faire appels aux esprits qui sont peut-être ceux qui vont se déchaîner sur l’Allemagne quelques siècles plus tard. Puis un chien noir. Le black dog de Led Zeppelin? Faust l’emmène chez lui.

Dans l’acte suivant, il est tout rempli de béatitude, ce qui fait grogner le chien. Pieux sentiments :
…nous apprenons à estimer ce qui s’élève au-dessus des choses de la terre, nous aspirons à une révélation, qui nulle part ne brille d’un éclat plus pur et plus beau que dans le Nouveau-Testament. J’ai envie d’ouvrir le texte, et me livrant une fois à des sentimens sincères, de traduire le saint original dans la langue allemande qui m’est si chère.
(Il ouvre un volume et s’apprête.)
Il est écrit : ‘Au commencement était la parole’
Il s’arrête, insatisfait du mot parole, qui ne rend pas ce dont il s’agit à son goût. Il y substitut d’abord : la Volonté. Schopenhauer doit bien se rappeler ce passage. Puis il essaie : la Force. Nietzsche s’en vient. Il s’arrête finalement sur : l’Action. L’engagement de Sartre? Le chien continue de grogner puis se métamorphose. Il s’agit d’un esprit infernal. Il est prisonnier dans le cabinet de Faust. D’autres esprits à l’extérieur disent vouloir le délivrer. Après des incantations, le chien devenu monstre devient Méphisto, affublé d’habits d’étudiant. Faust lui demande son nom et il répond :

Une partie de cette force qui tantôt veut le mal, et tantôt fait le bien.

Réponse qu’on ne comprend pas si on ne connaît pas l’Épître aux Romains (7, 15). Faust demande des précisions. Méphisto obtempère :

Je suis l’Esprit qui toujours nie ; et c’est avec justice : car tout ce qui existe est digne d’être détruit ; il serait donc mieux que rien n’existât. Ainsi, tout ce que vous nommez péché, destruction, bref, ce qu’on entend par mal ; voilà mon élément.

En d’autres termes : Néant. La Création n’aurait tout simplement jamais dû être. Ténèbres aussi :

Je te dis la modeste vérité. Si l’homme, ce petit monde de folie, se regarde ordinairement comme formant un entier, je suis, moi, une partie de la partie qui existait au commencement de tout, une partie  de cette obscurité qui donna naissance à la lumière, la lumière orgueilleuse, qui maintenant dispute à sa mère, la nuit, son rang antique et l’espace qu’elle occupait ; ce qui ne lui réussit guère pourtant, car malgré ses efforts elle ne peut que ramper à la surface des corps qui l’arrêtent ; elle jaillit de la matière, elle l’embellit, mais un corps suffit pour enchaîner sa marche. Je puis donc espérer qu’elle ne sera plus de longue durée, ou qu’elle s’anéantira avec les corps eux-mêmes.

Méphisto veut partir mais il ne peut pas à cause d’un pentagramme qui traîne dans le cabinet et qui pointe vers a porte (il ne peut sortir que par où il est entré). Faust est bien heureux de cette rencontre, et de savoir son hôte prisonnier. Mais il est endormi par le chant d’esprits infernaux et Méphisto s’échappe.

Méphisto revient visiter Faust à l’acte suivant. Habillé en seigneur cette fois. Faust y va d’une plainte qui rappelle Job. (« Qu’est-ce que le monde peut m’offrir de bon ? Tout doit te manquer ; tu dois manquer de tout ! Voilà l’éternel refrain qui tinte aux oreilles de chacun de nous, et ce que, toute notre vie, chaque heure nous répète d’une voix cassée.) On apprend qu’il a fait une tentative de suicide.

Puis une malédiction qui rappelle encore Job, de même que Jérémie :
Hé bien ! puisque des sons bien doux et bien connus m’ont arraché à l’horreur de mes sensations, en m’offrant, avec l’image de tems plus joyeux, les aimables sentimens de l’enfance, je maudis tout ce que l’ame environne d’attraits et de prestiges, tout ce qu’en ces tristes demeures elle voile d’éclat et de mensonge ! Maudite soit d’abord la haute opinion dont l’esprit s’enivre lui-même ! Maudite soit la splendeur des vaines apparences qui assiège nos sens ! Maudit soit ce qui nous séduit dans nos rêves, illusions de gloire et d’immortalité ! Maudits soient tous les objets dont la possession nous flatte, femme ou enfant, valet ou charrue ! Maudit soit Mammon, quand, par l’appât de ses trésors, il nous pousse à des entreprises audacieuses, ou quand, pour des jouissances oisives, il nous entoure de voluptueux coussins ! Maudite soit toute exaltation de l’amour ! Maudite soit l’espérance ! Maudite la foi, et maudite avant tout la patience !
Quel con, pas de joke! Puis c’est le pacte. Méphisto :

Je veux ici m’attacher à ton service, obéir sans fin ni cesse à ton moindre signe ; mais, quand nous nous reverrons là-dessous tu devras me rendre la pareille.

Réponse de Faust :

Le dessous ne m’inquiète guère ; mets d’abord en pièces ce monde-ci, et l‘autre peut arriver ensuite. Mes plaisirs jaillissent de cette terre, et ce soleil éclaire mes peines ; que je m’affranchisse une fois de ces dernières, arrive après ce qui pourra. Je n’en veux point apprendre davantage. Peu m’importe que, dans l‘avenir, on aime ou haïsse, et que ces sphères aient aussi un dessus et un dessous.

 Tout est là. L’ici-bas seul compte. Jouissons au max ici et qu’importe ce qui arrivera après. Méphisto lui promet des plaisirs comme il n’en a jamais connus mais Faust n’est pas dupe :

Et qu’as-tu à donner, pauvre diable ? L’esprit d’un homme en ses hautes inspirations fut-il jamais conçu par tes pareils ? Tu n’as que des alimens qui ne rassasient pas, de l’or pâle, qui sans cesse s’écoule des mains comme le vif argent ; un jeu auquel on ne gagne jamais ; une fille qui, jusque dans mes bras, fait les yeux doux à mon voisin ; l’honneur, belle divinité qui s’évanouit comme un météore. Fais-moi voir un fruit qui ne pourrisse pas avant que de tomber, et des arbres qui tous les jours se couvrent d’une verdure nouvelle.

Right on! Tu n’as rien à offrir ducon!
Faust signe quand même avec son sang. Puis :

Je me suis trop enflé, il faut maintenant que j’appartienne à ton espèce ; le grand Esprit m’a dédaigné ; la nature se ferme devant moi; le fil de ma pensée est rompu et je suis dégoûté de toute science. Il faut que dans le gouffre de la sensualité, mes passions ardentes s’apaisent ! Qu’au sein de voiles magiques et impénétrables, de nouveaux miracles s’apprêtent ! Précipitons-nous dans le murmure des tems ; dans les vagues agitées du destin ! Et qu’ensuite la douleur et la jouissance, le succès et l’infortune se suivent comme ils pourront. Il faut désormais que l’homme s’occupe sans relâche...

Comme quoi il est bien vrai que la science, ainsi que je le disais dans mon article précédent (ou l’autre d’avant) est l’une des plus nobles activités à laquelle puisse s’adonner l’homme. Une activité sainte…

Méphisto répond :

Il ne vous est assigné aucune limite, aucun but. S’il vous plaît de goûter un peu de tout, d’attraper au vol ce qui se présentera, faites comme vous l’entendrez.

Idéal de l’homme moderne. Faust :

Tu sens bien qu’il ne s’agit pas là d’amusemens. Je me consacre au tumulte, aux jouissances les plus douloureuses, à l’amour qui sent la haine, à la paix qui sent le désespoir. Mon sein, guéri de l’ardeur de la science, ne sera désormais fermé à aucune douleur : et ce qui le partage de l’humanité toute entière, je veux le concentrer dans le plus profond de mon être ; je veux, par mon esprit, atteindre à ce qu’elle a de plus élevé et de plus secret ; je veux entasser sur mon cœur tout le bien et tout le mal qu’el1e contient, et, me gonflant comme elle, me griser aussi de même.

Sadomaso en règle. Me vient en tête Hell.com. Peu surprenant.

Un écolier se présente à Faust pour qu’il devienne son précepteur. Méphisto se fait passer pour lui.

Méphisto : Mon bon ami, toute théorie est sèche et l’arbre précieux de la vie est fleuri.

L’écolier demande à Méphisto de signer son album. Ce dernier écrit : Eritis sicut Deus, bonum et malum scientes. Puis il fait référence à son cousin le serpent :

Suis seulement la vieille sentence de mon cousin le serpent, tu douteras bientôt de ta ressemblance divine.

Faust revient. Il veut aller dans le monde mais il se dit timide. Ils partent en manteau volant.

Voilà, ça doit bien faire trois heures que je travaille (le temps d’une représentation). Je m’arrête donc et vais méditer sur tout ceci. On en reparle.

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