jeudi 8 août 2013

Ave



Dieu crée par sa parole. Il n’a qu’à dire la chose qu’il veut voir advenir et hop, c’est là. La traduction nous fait toujours perdre bien des subtilités. Celle de la Bible n’y échappe pas. Elle commence avec « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre ». Au commencement est la traduction bien imparfaite de Bereshit qui signifie plutôt En tête. Avant de commencer un travail, on fait une entête. Mais En tête peut également signifier dans la tête. Comme si Dieu pensait à ce qu’il allait dire avant de le dire. « En tête, Dieu créa le ciel et la terre. » L’expression « le ciel et la terre » signifie l’ensemble de l’univers. On peut trouver étrange que les deux termes soient placés sur le même plan quand on sait la dimension de la Terre par rapport à celle du ciel… Mais n’y a-t-il pas autant de choses différentes sur la Terre que dans la totalité du ciel? Bref, il pense à ce qu’il va dire. Il se figure « dans sa tête » l’univers, comme s’il en faisait un plan. Puis, il s’exécute et prononce un discours de six jours qui va devenir l’univers.
Le langage humain a gardé une très infime partie de cette puissance créatrice. Je pense au titre d’un livre du philosophe JL Austin Quand dire c’est faire. D’où le principe des incantations. Le dire une fois réalise infinitésimalement la chose dite, mais le répéter constamment ajoute toujours un peu plus de la réalité qui est dite.
Le chapelet part de ce principe. La première partie de la formule est tirée de deux épisodes de l’Évangile de Luc. La première est un extrait de l’annonce fait par l’Ange Gabriel à Marie. Il n’y a pas eu encore conception. L’Ange vient proposer à Marie d’être la Mère du Sauveur. Marie est étonnée de ces paroles, on la sent un peu effrayée. On sait quelles ont été les conséquences la première fois qu’un ange (déchu, certes, mais un ange quand même) est venu faire une proposition à une femme… Ève a cru le serpent, mais ce n’est pas la foi qui l’a motivée, c’est l’orgueil. Marie ne tire aucun orgueil à être la Mère du Sauveur. Elle dirait non à tout ce qui pourrait contribuer à la mettre à l’avant-plan. C’est pourquoi on dit que c’est la foi qui la fait répondre. Abraham, le père de la foi, devait sacrifier son fils. Marie doit sacrifier sa vie secrète et retirée. Elle accepte. Puis, les mots suivants de la formule : Vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus le fruit de vos entrailles est béni sont prononcés quelques mois plus tard par sa cousine Élisabeth. Il y a donc un lapse de temps entre les propositions Le Seigneur est avec vous et Vous êtes bénie entre toutes les femmes… Lapse de temps au cours duquel se réalise l’événement le plus grandiose et le plus mystérieux de l’histoire : la conception de Dieu fait homme. Cet événement est dit par le silence entre les deux propositions, et c’est lui que nous voulons dire en répétant le Ave. À force de le dire, (par le silence puisque les choses les plus grandes ne peuvent s’exprimer qu’ainsi) l’événement se réalise toujours un peu plus. Quoi me direz-vous, cet événement, date de vingt siècle, il s’est ou ne s’est pas produit, et le fait de le répéter n’y changera rien. À la rigueur, on peut concevoir que de répéter Il fera beau demain trois millions de fois puisse influencer la météo du lendemain. Mais s’il a plu hier, il est inutile de répéter ad nauseam Il a fait beau hier. Ça va peut-être changer nos souvenirs de l’événement mais certainement pas l’événement lui-même… Saint Pierre Damien a déjà réfléchi sur la possibilité de prier Dieu pour des événements passés… Mais il ne s’agit pas de cela. On répète 53 fois l’Incarnation de Jésus non pas pour qui se réalise il y a 2000 ans mais pour qu’il se réalise maintenant, toujours un peu plus en nous. Pour qu’Il naisse un peu plus en nous et que l’on puisse dire, comme saint Paul : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi. » (Ga 2,20).

Il y a donc beaucoup plus là qu’une simple piété populaire adaptée aux masses incultes.
 

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