lundi 19 août 2013

Rousseau

Dans le film de Manon Barbeau (c’est la dernière fois que j’en parle, promis), les Enfants du Refus global, la fille de Borduas explique que son père se basait sur les (non) méthodes de Jean-Jacques Rousseau pour élever ses enfants. Le bon Jean-Jacques est évidement le pionnier de cette noble activité que j’ai désignée dans un article précédent sous le libellé de dompage d’enfants. Je ne dis pas qu’il a été le premier à avoir abandonné ses enfants, c’était une pratique courante, même après que Constantin ait interdit la pratique plus barbare encore de l’exposition d’enfants qui avait cours dans l’Empire avant son règne. Nom, ce qu’on doit à J-J Cool R, c’est d’avoir justifié cette pratique par tout un appareillage théorique permettant d’affirmer que le fait d’abandonner ses enfants est en fait une bonne chose pour eux.

De nos jours, on va entendre des parents expliquer que la garderie permet de « socialiser l’enfant » pour justifier qu’ils y mènent leur progéniture de trois mois et demi cinq fois dix heures par semaine. Comment ne pas être ému devant de tels sacrifices pour s’assurer que l’enfant soit Mister P.R. à l’âge de deux ans quand on sait que la vie n’est rien d’autre qu’un immense concours de popularité, pour paraphraser un roman québécois récent. Mais Jean-Jacques, c’est autre chose. C’est dans le fondement le plus profond de l’homme qu’il trouvait, avec les déchirements qu’on peut imaginer, l’obligation cruelle de ne pas assumer ses responsabilités de géniteur.

C’est que voyez-vous Jean-Jacques ne se prenait pas pour vous savez quoi. Aussi, il lui semblait tout naturel de s’attaquer à ce qu’il était banal de considérer à l’époque comme le plus grand génie que l’Occident ait connu. S’attaquer n’est peut-être pas le terme approprié. Il s’agissait plutôt de dire le contraire de… Le contredit en question avait écrit un petit livre intitulé Confessions que d’aucun voient comme l’acte de naissance de l’homme moderne. Jean-Jacques a aussi écrit un livre qui s’intitulait Confessions ce qui demandait à l’époque une bonne dose de culot, il faut le reconnaître. Mais l’antagonisme ne se situait pas là principalement. En fait, l’idée que Rousseau a voulu contredire tout au long de son œuvre (et qui a justifié l’abandon de son enfant) est celle du péché originel.

Bon, je ne veux pas trop développer là-dessus, on l’a fait surabondamment avec une érudition que je ne puis approcher. Les conclusions cependant son assez claires et unanimes : On doit aux développements de saint Augustin sur cette question l’essentiel de ce qui a permis de fonder tout le système juridique et social qui a eu cours en Occident jusqu’à aujourd’hui. Il dit en (très) gros ceci : « L’homme naît mauvais. La société doit donc être édifiée de façon à l’empêcher de trop déraper. Cependant, avec la Grâce de Dieu, la prière et l’ascèse, l’homme peut se sanctifier et s’arracher de cette malédiction pour s’accomplir pleinement. » Jean-Jacques a décidé de prendre cette évidence et d’en inverser les termes, question de nous faire reculer de trois millénaires : « L’homme naît bon, c’est la société qui le corrompt. »

J’entends les applaudissements de tous les gens cools avec qui on voudrait mille fois plus aller prendre une bière qu’avec une gang de chrétiens brainwashés.

 Proposition rassurantes, certes, mais qui ne tient pas la route deux secondes. On peut être contre le port d’armes à feu dans certains états de nos voisins du sud. Mais on doit admettre qu’il n’y a pas une fusillade majeure à tous les jours. Imaginez maintenant qu’on donne une arme à feu à tous les enfants d’une garderie. Le bain de sang deviendrait la norme quotidienne.

 Mais il y a bien pire. Si l’homme nait bon, alors le mal vient d’ailleurs. La doctrine augustinienne nous dit que le mal vient d’abord d’en-dedans. Comme on m’a déjà dit à une époque où ça n’allait pas très bien dans ma vie : « Si tous les gens que tu rencontres sont des morons, pose-toi des questions. » On ne fait que projeter ce que l’on porte en soi. C’est ce que veux exprimer Jésus-Christ par ces mots :
Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme; mais ce qui sort de la bouche, c'est ce qui souille l'homme.[…] Ne comprenez-vous pas que tout ce qui entre dans la bouche va dans le ventre, puis est jeté dans les lieux secrets? Mais ce qui sort de la bouche vient du coeur, et c'est ce qui souille l'homme. Car c'est du coeur que viennent les mauvaises pensées, les meurtres, les adultères, les impudicités, les vols, les faux témoignages, les calomnies. Voilà les choses qui souillent l'homme; mais manger sans s'être lavé les mains, cela ne souille point l'homme. 
Les Pharisiens pensaient qu’il suffisait de se laver les mains pour être pur pouvoir faire la leçon à tout le monde en se donnant en exemple. Non, l’impureté --le mal-- part de plus profond. Elle ne part pas de quelque chose d’aussi superficiel qu’une poignée de main, une ethnie ou un système politique. Elle part du cœur de l’homme. Jésus n’avait que faire de libérer les Juifs politiquement comme certains zélotes (dont Judas) le souhaitaient. C’est intérieurement qu’il est venu apporter la libération. « Mais délivrez-nous du mal... » intérieur. Car le mal extérieur est d’abord une projection du mal intérieur que l’on porte en soi. C’est ce qui explique que les saints restent sereins dans les persécutions et les souffrances.

Cette projection est à la base des deux grandes dérives totalitaires du XXe siècle.

D’abord le nazisme. La race pure. Donc exempte de mal. Les mains bien propres! Or il y avait beaucoup de mal dans l’Allemagne d’après la Première guerre : inflation endémique, chômage, pauvreté… Un mal qui faisait souffrir terriblement… Imaginez qu’on parvienne à trouver la source du mal… Il ne devrait alors y avoir aucun obstacle à une entreprise visant à son éradication définitive…

Fermez-vous les yeux et imaginez un peu cette perspective : Il n’y a plus de mal. On vient d’éliminer 80% des articles du Journal de Québec. Il n’y a plus de mal… Pour saint Augustin, cela ne peut être possible que dans la mesure où tout le monde parvient à se sanctifier (et encore…) puisque le mal est en nous. Pour le nazi, il suffit de trouver la cause profonde du mal : le Juif. Et le détruire.

Même logique pour le communisme : le mal n’est pas dans le cœur de l’homme, il est dans un système économico-politique qui encourage les inégalités. Ainsi, en éradiquant un tel système, on va éliminer totalement le mal, projet qui doit être mené à terme à tout prix.

Dans les deux cas, on a voulu faire descendre le paradis sur terre. On n’a réussi qu’à y faire monter l’enfer.

À une échelle un peu moins cataclysmique, il y a le mal identifié à la société de consommation, à la maladie mentale, à une disposition génétique, à la religion, à la cigarette, au fédéralisme, au féminisme, au liquide lave-glace… Le mal dont nous étions totalement innocents jusqu’à ce qu’il nous tombe dessus. Violeur et victime, pusher et drogué, client et prostituée : il n’y a que victimes… C’est rassurant… Et tellement consolant! Mais ça donne une société de victimes incapables de se prendre en main, une société de "C'pas d'ma faute"… Pas mal tout le monde est d’accord pour dire que nous en sommes-là. Le jugement rendu dans l’affaire Turcotte a peut-être été le dernier traumatisme collectif que nous ayons vécu. Qu’il sonne comme un avertissement : ça va continuer pendant combien de temps encore? Combien de temps le rousseauisme nous permettra-t-il de nous dédouaner de notre lâcheté, de notre goinfrerie, de notre dépravation et/ou de notre haine de l’autre? Je ne vois qu'une seule solution: il faut sacrer Rousseau aux vidanges et retourner à la doctrine augustinienne…

Oh mais il y tous ceux que cette doctrine a culpabilisés. Évidemment, il y a un équilibre à atteindre. Le sentiment de culpabilité peut-être paralysant s’il est mal vécu. Il devrait plutôt être un aiguillon qui nous mette en marche. Le sentiment de culpabilité n’est pas agréable, mais il est souvent le garde-fou qui nous empêche de devenir des porcs. Tu te sens coupable? C’est qu’il a bien des chances que tu le sois effectivement, mais dis-toi que tu n’es pas le seul car tel est le lot de l’humain sur Terre. Pascal disait qu’il y a deux sortes d’hommes : les pécheurs qui ne se sentent coupables de rien et les saints qui se sentent coupables de tout. C’est ce sentiment qui a mené ces derniers sur nos autels… Non il n’est pas agréable. Mais l’évolution ne se fait pas dans le confort.
 

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