lundi 12 août 2013

La retraite du Refus global (lecture suivie)

L’article de Daniel m’a donné envie de revenir sur ce texte important de notre histoire qu’est le Refus Global et dont on célèbre le 65e anniversaire. Vous êtes un intellectuel québécois et vous voudriez faire partie de la gang? Il vous suffit de paraphraser ad nauseam ce qui est écrit dans le Refus global.  C’est étonnant. Absolument tout y est. Tous les chevaux de bataille de la bien pensance qui nous horripile depuis trop longtemps : anticléricalisme, écologisme, marxisme, fatalisme, dévaluation du passé, nivellement, haine de soi… Voyez par vous-mêmes. Ce qui suit est une lecture commentée de la totalité du texte de Borduas publié en 1948. Ce qui est souligné est du Refus global, ce qui ne l’est pas est mon commentaire. 

Rejetons de modestes familles canadiennes françaises, ouvrières ou petites bourgeoises, de l'arrivée au pays à nos jours restées françaises et catholiques par résistance au vainqueur, par attachement arbitraire au passé, par plaisir et orgueil sentimental et autres nécessités.

Ça commence fort! Quelque peu hallucinant quand on sait qu’il s’agit du manifeste de toute la Révolution tranquille. « Rejetons de modestes familles canadiennes françaises… » Moi je veux bien.  Mais si on rejette ces modestes familles canadiennes françaises qui ont traversé l’Atlantique (et donc leurs descendants), il reste quoi pour former le pays auquel aspirent les adorateurs péquistes de Borduas? On risque de ne pas atteindre pas le 50% + 1 de sitôt…

Petit peuple issu d'une colonie janséniste, isolé, vaincu, sans défense contre l'invasion de toutes les congrégations de France et de Navarre, en mal de perpétuer  en ces lieux bénis de la peur (c'est-le-commencement-de-la-sagesse !) le prestige et les bénéfices du catholicisme malmené en Europe.

C’est comme ça, Paul-Émile, que tu vois ceux qui ont fondé le pays que tu habites? Les chroniqueurs du National Post aussi. Pour ma part, je préfère la vision du poète Alfred Desrochers lorsqu’il écrit : « Je suis un fils déchu d’une race de surhommes. » Sans doute une question de sensibilité…



Petit peuple qui malgré tout se multiplie dans la générosité de la chair sinon dans celle de l'esprit, au nord de l'immense Amérique au corps sémillant de la jeunesse au cœur d'or, mais à la morale simiesque, envoûtée par le prestige annihilant du souvenir des chefs-d'œuvre d'Europe, dédaigneuse des authentiques créations de ses classes opprimées.

La classe opprimée, déjà! Voyez avec quelle promptitude. Ensuite il nous parle de « morale simiesque ». Simiesque signifie : « Qui tient du singe. » S’il en est ainsi de la morale de l’époque, quel qualificatif faudrait-il choisir pour qualifier la morale d’aujourd’hui. J’attends les suggestions.

Notre destin sembla durement fixé.
Des révolutions, des guerres extérieures brisent cependant l'étanchéité du charme, l'efficacité du blocus spirituel.

Merci P-E d’avoir si bien contribué à la levée du blocus.  Grâce à cela, le Québécois d’aujourd’hui a une spiritualité que je qualifierais de consistante, fluide et sereine.

Des perles incontrôlables suintent hors les murs.

Vous essayerez ça dans vos temps libres : contrôler des perles. Vous risquez d’en suinter un coup!

Les luttes politiques deviennent âprement partisanes. Le clergé contre tout espoir commet des imprudences.
Des révoltes suivent, quelques exécutions capitales succèdent. Passionnément les premières ruptures s'opèrent entre le clergé et quelques fidèles.
Lentement la brèche s'élargit, se rétrécit, s'élargit encore.

Ce n’est pas une rupture entre LE clergé et LES fidèles, ou entre des membres du clergé et quelques fidèles mais entre LE clergé et quelques fidèles… J’y vois surtout un déséquilibre stylistique…

Les voyages à l'étranger se multiplient. Paris exerce toute l'attraction. Trop étendu dans le temps et dans l'espace, trop mobile pour nos âmes timorées, il n'est souvent que l'occasion d'une vacance employée à parfaire une éducation sexuelle retardataire et à acquérir, du fait d'un séjour en France, l'autorité facile en vue de l'exploitation améliorée de la foule au retour. À bien peu d'exceptions près, nos médecins, par exemple, (qu'ils aient ou non voyagé) adoptent une conduite scandaleuse (il-faut-bien-n'est-ce-pas-payer ces-longues-années-d'études !).

Paris! Ville de l’Art et de la poésie. L’endroit idéal pour aller mourir dans l’indifférence et l’amertume. Retournez quêter vos bénédictions et faire vos salamalecs dans cette Europe mourante, nous allons faire l’Amérique  en y assumant notre destin.

Des œuvres révolutionnaires, quand par hasard elles tombent sous la main, paraissent les fruits amers d'un groupe d'excentriques.

Ça me semble un peu normal… Si cet effet te déplaît, lis la Princesse de Clèves

L'activité académique a un autre prestige à notre manque de jugement.

???

Ces voyages sont aussi dans le nombre l'exceptionnelle occasion d'un réveil. L'inviable s'infiltre partout. Les lectures défendues se répandent. Elles apportent un peu de baume et d'espoir.

Les lectures permises de l’époque sont devenues les lectures défendues d’aujourd’hui. Ce sont elles qui, moi, m’apportent baume et réconfort dans ce siècle de sécheresse spirituelle. C’est ben pour dire…

Des consciences s'éclairent au contact vivifiant des poètes maudits : ces hommes qui, sans être des monstres, osent exprimer haut et net ce que les plus malheureux d'entre nous étouffent tout bas dans la honte de soi et la terreur d'être engloutis vivants. Un peu de lumière se fait à l'exemple de ces hommes qui acceptent les premiers les inquiétudes présentes, si douloureuses, si filles perdues. Les réponses qu'ils apportent ont une autre valeur de trouble, de précision, de fraîcheur que les sempiternelles rengaines proposées au pays du Québec et dans tous les séminaires du globe.

Bien sûr, les poètes maudits… L’ironie c’est qu’en ayant senti l’obligation de rejeter tout ce que vous avez rejeté pour nous révéler leur existence, vous nous les avez rendu du même coup inintelligibles. Sans ces « sempiternelles rengaines » qui ont contribué à faire de l’Occident ce qu’il est, il est à peu près impossible de comprendre Rimbaud et Baudelaire en profondeur. Par ailleurs, ce qui se passe au Québec à ce moment, c’est quelque chose qui n’est pas arrivé en Europe depuis le Moyen Âge. Les poètes maudits sont un luxe que ne peuvent se permettre que les peuples solidement établis depuis plusieurs siècles. Je suis content d’avoir découvert le bourbon du Tennessee, mais je suis content que ce ne soit pas arrivé quand j’avais sept ans.

Les frontières de nos rêves ne sont plus les mêmes.
Des vertiges nous prennent à la tombée des oripeaux d'horizons naguère surchargés. La honte du servage sans espoir fait place à la fierté d'une liberté possible à conquérir de haute lutte.

On appelle ça l’adolescence. C’est une phase normale dans le développement d’un individu comme d’un peuple.

Au diable le goupillon et la tuque ! Mille fois ils extorquèrent ce qu'ils donnèrent jadis.
Par delà le christianisme nous touchons la brûlante fraternité humaine dont il est devenu la porte fermée.

Comme dit Brigitte Fontaine : « Merci mon Dieu pour Marx. Tu n’étais pas obligé. »

Le règne de la peur multiforme est terminé.

Je ne sais pas pour vous mais sur cette assertion, j’ai comme un doute… Il me semble, mais ce n’est peut-être qu’une impression, que les Québécois n’ont jamais été aussi peureux qu’ils ne le sont aujourd’hui. Demandez à Ferland ce qu’il en pense… Mais de qui il parle, en réalité? Qui a peur multiformément? Ceux qui ont tout quitté pour traverser l’Atlantique sur de frêles caravelles? Le tout va peut-être s’éclaircir avec l’énumération suivante :

Dans le fol espoir d'en effacer le souvenir je les énumère :



peur des préjugés - peur de l'opinion publique - des persécutions - de la réprobation générale

Alors ça, y a pas à dire, nous nous en sommes bien libérés! Quand je pense au Québécois issu de la Révolution tranquille, je pense à un homme que l’opinion générale et la réprobation publique laisse de glace!

peur d'être seul sans Dieu et la société qui isole très infailliblement

On le sait, depuis l’avènement des réseaux sociaux, l’isolement n’est plus une réalité au Québec. On le voit dans nos CHSLD.

peur de soi - de son frère - de la pauvreté

Ne vous inquiétez pas, la pauvreté, dans le Québec moderne, ça n’existe plus.Surtout pas la pauvreté spirituelle.

peur de l'ordre établi - de la ridicule justice

La ridicule justice… Le nom de Guy Turcotte me vient en tête.

peur des relations neuves

C’était avant les sites de rencontre…

peur du surrationnel

Je ne sais pas ce que signifie ce mot, il n’est pas dans le dictionnaire. Il faudrait demander à un membre de l’Institut du développement de la personne.

peur des nécessités

???

peur des écluses grandes ouvertes sur la foi en l'homme - en la société future

La foi en l’homme. Ça dépend ce qu’on entend : l’image du Dieu créateur ou le singe évolué?

peur de toutes les formes susceptibles de déclencher un amour transformant

Je sais comment déclencher une avalanche ou une alarme de voiture, mais un amour transformant, j’avoue que je ne le sais pas.

peur bleue - peur rouge - peur blanche : maillons de notre chaîne.

Aujourd’hui, je dirais que c’est plutôt la peur fuchsia et la peur cuisse de nymphe émue.

Du règne de la peur soustrayante nous passons à celui de l'angoisse.

Il parle au présent là, alors je ne sais plus trop à quel moment ce passage se produit. Tout le monde sait que la pharmacologie a permis d’éradiquer définitivement ce sentiment que nous ne connaissons plus et qui devait être fort déplaisant.

Il aurait fallu être d'airain pour rester indifférents à la douleur des partis pris de gaieté feinte, des réflexes psychologiques des plus cruelles extravagances : maillot de cellophane du poignant désespoir présent (comment ne pas crier à la lecture de la nouvelle de cette horrible collection d'abat-jour faits de tatouages prélevés sur de malheureux captifs à la demande d'une femme élégante ; ne pas gémir à l'énoncé interminable des supplices des camps de concentration ; ne pas avoir froid aux os à la description des cachots espagnols, des représailles injustifiables, des vengeances à froid). Comment ne pas frémir devant la cruelle lucidité de la science.

Euh… Il parle de quoi là? Des horreurs qui se sont produites dans les camps de concentration nazis et les prisons espagnoles? Sans doute la faute aux curés québécois.

À ce règne de l'angoisse toute puissante succède celui de la nausée.

Jean-Paul, sort de ce corps…

Nous avons été écœurés devant l'apparente inaptitude de l'homme à corriger les maux. Devant l'inutilité de nos efforts, devant la vanité de nos espoirs passés.

Les espoirs de qui, là? Qui est-ce qui parle? Ah! Je comprends! Il veut se situer dans la brûlante fraternité de l’humanité globalisée!  

Depuis des siècles les généreux objets de l'activité poétique sont voués à l'échec fatal sur le plan social, rejetés violemment des cadres de la société avec tentative ensuite d'utilisation dans le gauchissement irrévocable de l'intégration, de la fausse assimilation.

Y a pas à dire, l’humanité c’est vraiment d’la marde!

Depuis des siècles les splendides révolutions aux seins regorgeant de sève sont écrasées à mort après un court moment d'espoir délirant, dans le glissement à peine interrompu de l'irrémédiable descente :

     les révolutions françaises
     la révolution russe
     la révolution espagnole


Ah, la splendide révolution russe avec ces cent millions de morts en trois quart de siècle! Comment rester d’airain, en effet! Mais attention, la phrase continue : 

…avortées dans une mêlée internationale, malgré les vœux impuissants de tant d'âmes simples du monde.

D’une part il faut s’ouvrir aux événements du monde pour y prendre part, et de l’autre ces événements ne seront toujours qu’une suite d’injustices profitant aux exploiteurs au détriment du simple monde. Rarement senti un tel bouillonnement d’espérance. Et ça continue :

Là encore, la fatalité fut plus forte que la générosité.

La fatalité. Qui sont ces cons de curés qui vous disaient qu’il était possible de s’en sortir? Si on veut être de son temps, si on veut être progressiste, si on veut pouvoir prendre part à la grande aventure de l’intelligence humaine, il se pénétrer bonne fois pour toute de cette vérité inéluctable : il n’y a rien à faire.

Ne pas avoir la nausée devant les récompenses accordées aux grossières cruautés, aux menteurs., aux faussaires, aux fabricants d'objets mort-nés, aux affineurs, aux intéressés à plat, aux calculateurs, aux faux guides de l'humanité, aux empoisonneurs des sources vives.

Évidemment que les athées et les agnostiques ont le monopole du dégoût face à la glorification des crottés…

Ne pas avoir la nausée devant notre propre lâcheté, notre impuissance, notre fragilité, notre incompréhension.

La prochaine fois que je voudrai insulter quelqu’un, je le traiterai de lâche impuissant fragile qui ne comprend rien.

Devant les désastres de nos amours... En face de la constante préférence accordée aux chères illusions contre les mystères objectifs.

Les mystères objectifs ne sauraient être les mystères glorieux ou lumineux, cela va sans dire… 

Où est le secret de cette efficacité de malheur imposée à l'homme et par l'homme seul, sinon dans notre acharnement à défendre la civilisation qui préside aux destinées des nations dominantes.

Tu parles d’une idée de fou! J’imagine qu’il faut proposer quelque chose de beaucoup plus stimulant pour édifier le Québec moderne. Quelque chose comme défendre la civilisation qui préside aux destinées des nations dominées?

Les États-Unis, la Russie, l'Angleterre, la France, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne : héritières à la dent pointue d'un seul décalogue, d'un même évangile.

Si le Québec veut devenir un pays, on espère qu’il saura se démarquer dans le concert des Nations. Quand je pense à des pays qui n’y sont pas parvenus, je pense immédiatement aux États-Unis, à la Russie, à l’Angleterre, à la France, à l’Allemagne, à l’Italie et à L’Espagne…

La religion du Christ a dominé l'univers. Voyez ce qu'on en a fait : des fois sœurs sont passées à des exploitations sœurettes.

Des fois sœurs? 

Supprimez les forces précises de la concurrence des matières premières, du prestige, de l'autorité et elles seront parfaitement d'accord. Donnez la suprématie à qui vous voudrez, le complet contrôle de la terre à qui il vous plaira, et vous aurez les mêmes résultats fonciers, sinon avec les mêmes arrangements des détails.
Toutes sont au terme de la civilisation chrétienne.

La pas-fine… Depuis le temps qu’on essaie d’y mettre fin. Lâchez pas!

La prochaine guerre mondiale en verra l'effondrement dans la suppression des possibilités de concurrence internationale.
Son état cadavérique frappera les yeux encore fermés.
La décomposition commencée au XIVe siècle donnera la nausée aux moins sensibles.

Effondrement de la civilisation chrétienne, bien sûr… C’est à se demander pourquoi tant d’Arabes émigrent ici. C’est le contraire qu’on devrait observer… J’ajoute, pour ceux qui voudraient être du bon bord au moment du désastre final, que l’opération qui permet de se convertir à l’Islam est encore plus simple que le baptême.

Son exécrable exploitation, maintenue tant de siècles dans l'efficacité au prix des qualités les plus précieuses de la vie, se révélera enfin à la multitude de ses victimes : dociles esclaves d'autant plus acharnés à la défendre qu'ils étaient plus misérables.
L'écartèlement aura une fin.

On nous dit que le Refus global est un texte important dans notre histoire récente, et c’est sans doute vrai. Mais de constater qu’une part aussi importante de ce qui le constitue consiste en de la paraphrase cheapos d’un manifeste écrit exactement cent ans plus tôt me fait mal. 

La décadence chrétienne aura entraîné dans sa chute tous les peuples, toutes les classes qu'elle aura touchées, dans l'ordre de la première à la dernière, de haut en bas.

La décadence chrétienne…  Quel est le mal ici? Que le christianisme soit en déclin (et alors le christianisme est bon en soi)? Ou est-ce le christianisme qui est la cause de la décadence?  La suite nous fait pencher vers la première option. Ouf!

Elle atteindra dans la honte l'équivalence renversée des sommets du XIIIe.
Au XIIIe siècle, les limites permises à l'évolution de la formation morale des relations englobantes du début atteintes, l'intuition cède la première place à la raison. Graduellement l'acte de foi fait place à l'acte calculé. L'exploitation commence au sein de la religion par l'utilisation intéressée des sentiments existants, immobilisés ; par l'étude rationnelle des textes glorieux au profit du maintien de la suprématie obtenue spontanément.

Le XIIIe siècle est celui de Thomas d’Aquin, et il se termine avec Dante. À partir de là, c’est le déclin. Borduas accorde donc  treize siècle de vitalité au Christianisme. Ce qu’il dénonce, c’est une forme dégradée de celui-ci. Une forme dans laquelle « l’intuition cède la première place à la raison. » La mautadine de raison! Par ailleurs, il parle de « textes glorieux » qui doivent bien être les textes bibliques. Il faut bien qu’on sauve quelque chose. 

L'exploitation rationnelle s'étend lentement à toutes les activités sociales : un rendement maximum est exigé.
La foi se réfugie au cœur de la foule, devient l’ultime espoir d'une revanche, l'ultime compensation. Mais là aussi, les espoirs s'émoussent.
En haut lieu, les mathématiques succèdent aux spéculations métaphysiques devenues vaines.

À quoi sert la raison si ce n’est à l’exploitation des masses? Luther la considérait comme la « plus grande prostituée du diable ». Faust et Nietzsche n’ont pas tardé à suivre… Combien de siècles encore récolterons-nous les fruits pourris d’un tel blasphème?

L'esprit d'observation succède à celui de transfiguration.

 Il déplore la chose, amis athées prompt à citer ce texte pour appuyer vos arguments. Il oppose niaisement ces deux esprits. Comme s’ils s’excluaient l’un l’autre. 

La méthode introduit les progrès imminents dans le limité. La décadence se fait aimable et nécessaire : elle favorise la naissance de nos souples machines au déplacement vertigineux, elle permet de passer la camisole de force à nos rivières tumultueuses en attendant la désintégration à volonté de la planète. Nos instruments scientifiques nous donnent d'extraordinaires moyens d'investigation, de contrôle des trop petits, trop rapides, trop vibrants, trop lents ou trop grands pour nous. Notre raison permet l'envahissement du monde, mais d'un monde où nous avons perdu notre unité.

Ah, l’écologie… Elle ne pouvait pas ne pas être là. Comme le Refus global est le texte fondateur du Québec moderne, il fallait bien que les partis qui s’en réclament incluent l’écologie au premier plan de leur programme politique. Car on a beau dire, la langue commence à trouver ça lourd, le fait de devoir soutenir seule tout ce qui fait l'originalité profonde d’un peuple… L’écologie vient à la rescousse… En quoi nous formons une société distincte, nous, Québécois, en Amérique? En ce que nous parlons français et que nous nous soucions de l’écologie… (Tandis que les autres parlent anglais et polluent). 

L'écartèlement entre les puissances psychiques et les puissances raisonnantes est près du paroxysme.

Toujours cette fausse opposition, comme entre la science et la religion ou entre la connaissance et la foi. Après le sous-Marx, le sous-Nietzsche. Tant qu’on ne se rendra pas au sous-Onfray…

Les progrès matériels, réservés aux classes possédantes, méthodiquement freinés, ont permis l'évolution politique avec l'aide des pouvoirs religieux (sans eux ensuite) mais sans renouveler les fondements de notre sensibilité, de notre subconscient, sans permettre la pleine évolution émotive de la foule qui seule aurait pu nous sortir de la profonde ornière chrétienne.

La pleine évolution émotive de la foule. Mais c’était avant l’avènement des téléromans…  Voyez le projet, enthousiasmant : nous sortir de la profonde ornière chrétienne. C’est pas mal fait aujourd’hui… La pilule a supplanté l’hostie pour notre plus grand bonheur collectif. 

La société née dans la foi périra par l'arme de la raison : l'INTENTION.

Ce qui aura raison de nous? L’INTENTION. En grosses lettres. Notre salut serait donc de toujours agir sans aucune intention. N’est-ce pas ainsi dans la nature, tout l’univers n’étant rien d’autre que le fruit du plus pur hasard. Bannissons le Bereshit!

Les deux dernières guerres furent nécessaires à la réalisation de cet état absurde. L'épouvante de la troisième sera décisive. L'heure H du sacrifice total nous frôle.
Déjà les rats européens tentent un pont de fuite éperdue sur l'Atlantique. Les événements déferleront sur les voraces, les repus, les luxueux, les calmes, les aveugles, les sourds.
Ils seront culbutés sans merci.
Un nouvel espoir collectif naîtra.

Eschatologie 101. Il faudrait expliquer à P-E  que l’espoir collectif est une invention et un fruit du christianisme, et donc que si on sort le peuple de « l’ornière chrétienne », il ne pourra plus être question « d’espoir collectif ». Encore une fois, ce sont de beaux projets, mais il sent la nécessité, pour les faire advenir, d’éliminer la seule chose qui puisse les rendre possibles. 

Déjà il exige l'ardeur des lucidités exceptionnelles, l'union anonyme dans la foi retrouvée en l'avenir, en la collectivité future.

Même commentaire que ci-dessus. Je pense à un conducteur qui voudrait que sa voiture puisse aller plus vite et qui déciderait d’enlever les roues pour en diminuer la charge. 

Le magique butin magiquement conquis à l'inconnu attend à pied d'œuvre. 

Le magique butin magiquement conquis? Il précise :

Il fut rassemblé par tous les vrais poètes. Son pouvoir transformant se mesure à la violence exercée contre lui, à sa résistance ensuite aux tentatives d'utilisation (après plus de deux siècles, Sade reste introuvable en librairie ; Isidore Ducasse, depuis plus d'un siècle qu'il est mort, de révolutions, de carnages malgré l'habitude du cloaque actuel reste trop viril pour les molles consciences contemporaines).

J’aurais pensé avant la parenthèse qu’il parlait des prophètes de l’Ancien Testament… Mais non : Lautréamont et Sade! Pour Lautréamont, je suis prêt à discuter. Sade? Ses œuvres complètes, si longtemps introuvables, sont maintenant facilement accessibles en ligne. Ne vous étonnez pas cependant, si vous voulez bénéficier de son incroyable « pouvoir transformant », de voir surgir des pop-ups vous invitant à joindre des sites de cyber-pédophiles.  En espérant que les consciences ce soient alors assez fortifiées pour que ce soit devenu légal. 

Tous les objets du trésor se révèlent inviolables par notre société. Ils demeurent l'incorruptible réserve sensible de demain. Ils furent ordonnés spontanément hors et contre la civilisation. Ils attendent pour devenir actifs (sur le plan social) le dégagement des nécessités actuelles.

On a tous bien hâte que l’œuvre de Sade puisse devenir active sur le plan social, que les politiciens puissent s’y référer lorsque viendra le temps pour eux de proposer des réformes au code civil.  

D'ici là notre devoir est simple.

C’est bien beau dénoncer, il faut aussi agir… Tenez-vous bien, ça va donner un grand coup.

Rompre définitivement avec toutes les habitudes de la société, se désolidariser de son esprit utilitaire. Refus d'être sciemment au-dessous de nos possibilités psychiques et physiques. Refus de fermer les yeux sur les vices, les duperies perpétrées sous le couvert du savoir, du service rendu, de la reconnaissance due. Refus d'un cantonnement dans la seule bourgade plastique, place fortifiée mais trop facile d'évitement. Refus de se taire - faites de nous ce qu'il vous plaira mais vous devez nous entendre - refus de la gloire, des honneurs (le premier consenti) : stigmates de la nuisance, de l'inconscience, de la servilité. Refus de servir, d'être utilisables pour de telles fins. Refus de toute INTENTION, arme néfaste de la RAISON. À bas toutes deux, au second rang !

Moi c’est la dernière phrase que je préfère. Faust dans toute sa splendeur. Une société dégagée de toute intention. Il me semble que nous en sommes là puisque c’est devenu une question politique : « What do Quebec want? » Difficile de vouloir quelque chose quand on n’a pas d’intention.

PLACE À LA MAGIE ! PLACE AUX MYSTÈRES OBJECTIFS !
PLACE À L'AMOUR !
PLACE AUX NÉCESSITÉS !

La magie… encore Faust
Les mystères objectifs… plait-il?
L’amour… dans son sens sadien si possible…
Les nécessités! Euh…

Au refus global nous opposons la responsabilité entière.

Je suis bien d’accord. Mais dites-moi… Comment peut-il y avoir responsabilité s’il n’y a pas intention? « Votre Honneur, je ne peux pas être tenu responsable de ce crime puisque je n’avais pas l’intention de le commettre. » Plus je lis, plus j’ai l’impression d’avoir affaire à des revendications d’adolescents. Le Refus global marquerait en fait le passage du Québec à l’adolescence. Phase nécessairement transitoire, on l'a dit…

L'action intéressée reste attachée à son auteur, elle est mort-née.

Il y a quelques différences entre l’Intention et l’Intérêt…

Les actes passionnels nous fuient en raison de leur propre dynamisme.
Nous prenons allègrement l'entière responsabilité de demain. L'effort rationnel, une fois retourné en arrière, il lui revient de dégager le présent des limbes du passé.

Dire que le passé est garant de l’avenir ou qu’il permet de mieux comprendre le présent revient à se mettre du bord des exploiteurs.

Nos passions façonnent spontanément, imprévisiblement, nécessairement le futur.
Le passé dut être accepté avec la naissance, il ne saurait être sacré. Nous sommes toujours quittes envers lui.

Et voilà la fameuse « table rase » communiste. Rien à cirer du patrimoine, de la culture nationale, des ancêtres avec leur sacrifice imbécile pour permettre notre existence. Le respect des aïeux relève pour moi du cinquième commandement : « Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent dans le pays que l'Éternel, ton Dieu, te donne. » (Exode 20, 12) Saint Paul fait remarquer qu’il s’agit du premier commandement auquel est attachée une promesse : celle de durer en tant que peuple. On pourra dire que c’est n’importe quoi, cette ordonnance qui a été imposée à une tribu nomade il y a trois millénaires. N’empêche que nous serons toujours obligés de constater que le plus vieux peuple existant encore est justement celui qui a toujours été le plus passionnément attaché  à son patrimoine. (À cause du commandement ci-dessus qui en fait justement partie…) Le rejet qu’exige Borduas ne saurait donc pas être garant de quelque durée que ce soit. En d’autres termes, ça fait pas des enfants forts.

Il est naïf et malsain de considérer les hommes et les choses de l'histoire dans l'angle amplificateur de la renommée qui leur prête des qualités inaccessibles à l'homme présent. Certes, ces qualités sont hors d'atteinte aux habiles singeries académiques, mais elles le sont automatiquement chaque fois qu'un homme obéit aux nécessités profondes de son être ; chaque fois qu'un homme consent à être un homme neuf dans un temps nouveau. Définition de tout homme, de tout temps.

Naïf et malsain, peut-être… Mais il est assez difficile de faire autrement quand on entend les hommes québécois d’aujourd’hui se glorifier de leurs vasectomies.

Fini l'assassinat massif du présent et du futur a coups redoublés du passé.
Il suffit de dégager d'hier les nécessités d'aujourd'hui. Au meilleur demain ne sera que la conséquence imprévisible du présent.
Nous n'avons pas à nous en soucier avant qu'il ne soit.

Comme si l’oubli du passé était garant de la grandeur du présent et du futur. On dit souvent que les Québécois ne connaissent rien à leur histoire. C’est peut-être voulu par les élites…

La conclusion de l'ensemble s'intitule Règlement final des compte. Ça va comme suit:

Les forces organisées de la société nous reprochent notre ardeur à l'ouvrage, le débordement de nos inquiétudes, nos excès comme une insulte à leur mollesse, à leur quiétude, à leur bon goût pour ce qui est de la vie (généreuse, pleine d'espoir et d'amour par habitude perdue).

Essayons d’appliquer cette longue phrase à la société québécoise actuelle et demandons-nous à qui s’applique la mollesse et à qui la générosité de la vie. D’un côté les chantres gouvernementaux de l’euthanasie et de l’avortement, de l’autre…

Les amis du régime nous soupçonnent de favoriser la « Révolution ». Les amis de la « Révolution » de n'être que des révoltés : « ... nous protestons contre ce qui est, mais dans l'unique désir de le transformer, non de le changer. »
Si délicatement dit que ce soit, nous croyons comprendre.
Il s'agit de classe.

De caste? Ah non, de classe! Désolé.

On nous prête l'intention naïve de vouloir « transformer » la société en remplaçant les hommes au pouvoir par d'autres semblables. Alors, pourquoi pas eux, évidemment !

Ils se défendent donc de vouloir changer quatre 25¢ sous pour une piastre. Désolé, amis automatistes, mais c’est bien ce qui est arrivé, vous seriez horrifiés de constater à quel point. Votre manifeste est devenu la référence fondatrice de toute la classe bien pensante d’aujourd’hui, dans le monde de l’intelligentsia québécoise. Même ceux qui ne l'ont jamais lus sont affectés. C’est hallucinant.

Mais c'est qu'eux ne sont pas de la même classe ! Comme si changement de classe impliquait changement de civilisation, changement de désirs, changement d'espoir !

Voilà, ils ne sont pas de la même classe. Ils sont de la classe ennemie. Il n’y a rien à espérer pour eux. Comme pour les castes hindoues. Fatalisme, encore et encore!

Ils se dévouent à salaire fixe, plus un boni de vie chère, à l'organisation du prolétariat ; ils ont mille fois raison. L'ennui est qu'une fois la victoire bien assise, en plus des petits salaires actuels, ils exigeront sur le dos du même prolétariat, toujours, et toujours de la même manière, un  règlement de frais supplémentaires et un renouvellement à long terme, sans discussion possible.

Bref, ce sont des salauds avec qui il ne convient pas de discuter. J’avoue cependant ne pas être sûr de savoir exactement de qui il parle. Des ennemis, bien sûrs, mais encore? Les dominants? Les capitalistes? Les Anglais? 

Nous reconnaissons quand même qu'ils sont dans la lignée historique. Le salut ne pourra venir qu'après le plus grand excès de l'exploitation.

Par ici la Parousie!

Ils seront cet excès.
Ils le seront en toute fatalité sans qu'il y ait besoin de quiconque en particulier. La ripaille sera plantureuse. D'avance nous en avons refusé le partage.
Voilà notre « abstention coupable ».

De Marx et Engels, on vient de passer à saint Jean l’Évangéliste. Il n’a pas dû s’en rendre compte. 

À vous la curée rationnellement ordonnée (comme tout ce qui est au sein affectueux de la décadence) ; à nous l'imprévisible passion ; à nous le risque total dans le refus global.

C’est noble, bonne chance!

(Il est hors de volonté que les classes sociales se soient succédées au gouvernement des peuples sans pouvoir autre chose que poursuivre l'irrévocable décadence. Hors de volonté que notre connaissance historique nous assure que seul un complet épanouissement de nos facultés d'abord, et, ensuite, un parfait renouvellement des sources émotives puissent nous sortir de l'impasse et nous mettre dans la voie d'une civilisation impatiente de naître.)

Une civilisation qui va reposer sur quoi? Après tout ce que vous venez de rejeter, il ne reste plus grand-chose. La remarque pourrait certainement être appliquée au PQ. Sur quoi vont reposer le pays impatient de naître? La langue et l’écologie? Possible que ce ne soit pas assez.

Tous, gens en place, aspirants en place, veulent bien nous gâter, si seulement nous consentions à ménager leurs possibilités de gauchissement par un dosage savant de nos activités.
La fortune est à nous si nous rabattons nos visières, bouchons nos oreilles, remontons nos bottes et hardiment frayons dans le tas, à gauche, à droite.
Nous préférons être cyniques spontanément, sans malice.

Attention, il ne sera pas question de nous récupérer, nous resterons intègres jusqu’à la fin. Pauvre de vous. Si vous voyiez qui a récupéré votre idéologie! Il y a largement de quoi se promener tout nu dans un baril. 

Des gens aimables sourient au peu de succès monétaire de nos expositions collectives. Ils ont ainsi la charmante impression d'être les premiers à découvrir leur petite valeur marchande.
Si nous tenons exposition sur exposition, ce n'est pas dans l'espoir naïf de faire fortune. Nous savons ceux qui possèdent aux antipodes d'où nous sommes. Ils ne sauraient impunément risquer ces contacts incendiaires.
Dans le passé, des malentendus involontaires ont permis seuls de telles ventes.
Nous croyons ce texte de nature à dissiper tous ceux de l'avenir.

Malheureusement…

Si nos activités se font pressantes, c'est que nous ressentons violemment l'urgent besoin de l'union.
Là, le succès éclate !
Hier, nous étions seuls et indécis.
Aujourd'hui un groupe existe aux ramifications profondes et courageuses ; déjà elles débordent les frontières.

So, so, so…!

Un magnifique devoir nous incombe aussi : conserver le précieux trésor, qui nous échoit. Lui aussi est dans la lignée de l'histoire.

Tiens, tiens, la lignée de l’histoire maintenant. Celle qui a été refusée globalement il y a quelques lignes…

Objets tangibles, ils requièrent une relation constamment renouvelée, confrontée, remise en question. Relation impalpable, exigeante qui demande les forces vives de l'action.
Ce trésor est la réserve poétique, le renouvellement émotif où puiseront les siècles à venir. Il ne peut être transmis que TRANSFORMÉ, sans quoi c'est le gauchissement.
Que ceux tentés par l'aventure se joignent à nous.

La réserve poétique dont il parle existe. Anne Catherine Emmerich l’appelait le Dépôt sacré. Je le soupçonne d’avoir traversé l’Atlantique avant l’hécatombe de la révolution française. Mais je doute fort qu’il se soit réfugié chez les automatistes. 

Au terme imaginable, nous entrevoyons l'homme libéré de ses chaînes inutiles, réaliser dans l'ordre imprévu, nécessaire de la spontanéité, dans l'anarchie resplendissante, la plénitude de ses dons individuels.

Ah, je suis surpris de ne pas l’avoir rencontrée plus tôt, l’anarchie resplendissante. Gage de durée pour une civilisation s’il en est!

D'ici là sans repos ni halte, en communauté de sentiment avec les assoiffés d'un mieux-être, sans crainte des longues échéances, dans l'encouragement ou la persécution, nous poursuivrons dans la joie notre sauvage besoin de libération.

Bon comme le mieux est l’ennemi du bien, on a dû se contenter d’une communauté d’assoiffés de bien-être, au grand plaisir des bougons et des gourous de la croissance personnelle. Mais c’est déjà un début et nous n’avons pas peur des longues échéances. 

Et voilà, c’est terminé. Le texte fondateur de toute la Révolution tranquille. Il a eu sa nécessité, c’est entendu, et il n’est pas totalement dénué de beauté. Mais je l’ai dit et je le répète : on ne peut absolument rien fonder de durable là-dessus. 65 ans, cette année... L’âge idéal pour une retraite bien méritée!

Mon collègue Daniel avait bien raison. On a cruellement besoin d’un nouveau Refus global.

2 commentaires:

  1. Votre exercice est intéressant et dénote certainement de la patience et de la passion. Mais j’avoue que je vous trouve un peu de mauvaise foi. En fait, je vous accorde que tout ce qui est du « table rase du passé » et du mépris de nos ancêtres est tout à fait désolant. C’est un manque de reconnaissance difficile à avaler. Mais quand il est question du capitalisme et de sa suite, il me semble quand même évident que bien des dérives ne soient pas voulues par Dieu et que, conséquemment, elles ne sont pas souhaitables. Certes les catastrophes qui ont suivi le Manifeste de Marx sont innommables, mais il avait quand même prévu bien des conséquences du libre-échange et de la production industrielle : surconsommation de toutes sortes (amenant la pollution et la destruction de la faune et la flore), exploitation des plus faibles en employant des populations à des salaires ridicules, bref, une roue qu’on dirait maintenant incontrôlable. Pour les signataires du Refus global, il me semble qu’ils essaient (bien mal, certes) de nous dire, un peu comme les croyants disent aux incroyants : « Il y a un autre monde. Vous ne vous sentez pas bien ici, nous non plus, soyons frères et croyons! » Le hic, c’est qu’ils jettent bien des choses qui auraient pu permettre de reconstruire.
    Merci pour votre travail.
    Gina Poirier

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