mercredi 14 août 2013

Les enfants du Refus global

(Ce message a été envoyé à la cinéaste Manon Barbeau)


Suite à ma lecture suivie d’avant-hier, j’ai écouté le documentaire de Manon Barbeau Les enfants du Refus global, disponible dans le fabuleux coffre aux trésors qu’est le site de l’ONF (http://www.onf.ca/film/enfants_de_refus_global ). Manon est la fille de Marcel, le peintre signataire du manifeste. Elle a rencontré d’autres enfants de signataires, ainsi que certains signataires eux-mêmes (Marcelle Ferron, Pierre Gauvreau, Jean-Paul Riopelle, son père Marcel...) Le résultat est assez instructif. 

D’abord on se rend compte que le précepte qui a été le plus fidèlement suivi est la première phrase du manifeste : « Rejetons de modestes familles canadiennes-françaises… » Ça signifiait pour eux : « Rejetons la famille! » Ou plus prosaïquement « Rejetons nos enfants! » Ils avaient un art à développer, une œuvre picturale à construire et cela devait nécessairement signifier l’abandon de leurs familles (de leurs enfants). C’est-ce que nous explique en ces termes à peu près exacts le père de la cinéaste, Marcel Barbeau, qui a tout bonnement donné sa fille et son fils François en adoption pour pouvoir se consacrer à son art. À sa justification par la parabole des talents qu’il faut faire fructifier, on pourrait rétorquer ces mots de saint Paul : « Si quelqu'un ne prend pas soin de sa parenté et surtout des membres de sa propre famille, il a trahi sa foi, il est pire qu'un incroyant. » (1Tim 5, 8) J’aime bien penser à Jean-Sébastien Bach écrivant sa Messe en si avec ses 20 enfants s’amusant autour de lui. Oui, Jean-Sébastien Bach a eu 20 enfants, de deux femmes différentes (16 de la dernière, Anna-Magdalena), et vous me permettrez de douter que son œuvre en ait souffert. Mais ce n’est pas là-dessus que je veux insister.

C.G Jung et Mircea Éliade  expliquent qu’il y a dans les œuvres fondatrices des archétypes, qui expriment des modèles élémentaires de comportement humain. Une fois exprimés, ceux-ci vont se figer dans la psyché du peuple d’où est issue l’œuvre en question. Je pense que le Refus global est une œuvre fondatrice, et qu’on lui doit l’action achétypique que vous avez certainement observée plusieurs fois dans votre entourage et que j’appellerais : le dompage d’enfants. Il fallait ensuite que ce noble idéal puisse « devenir actif  (sur le plan social) », pour citer Borduas. Et c’est alors que Madame Pauline Marois, grande zélatrice du prophète automatiste, est arrivée avec ses garderies à 5$! Institution unique au Québec, comme on sait…

Ce qui ressort de ce film, c’est une tristesse infinie. La séquence avec Jean-Paul Riopelle est particulièrement pathétique, au sens non railleur du terme. Tristesse de ne pas avoir été à la hauteur d’une destinée qui dépassait largement le fait banal de pouvoir exposer à Paris des toiles qui finiront par valoir quelques futiles millions de dollars. Il le sait : il ne pourra pas plaider la valeur de ses toiles lorsque viendra le temps du Jugement. L’impression d’avoir raté sa vie et gâché celle de ses proches, et qu’il est trop tard pour essayer de réparer les torts lui semble absolument insupportable. On sent qu’il aurait envie de nous dire : « C’était une esti d’arnaque tout ça! » Il ne le dit pas parce que ce n’est pas ce que les gens veulent entendre. Alors il ne dit rien. Mais il ressort de ce film ceci : Là n’est pas le bonheur. Là n’est pas l’accomplissement. Pas plus que dans sa version soft de la réalisation professionnelle qui nécessite d’envoyer ses enfants à la garderie 11h par jour. L’homme est appelé à quelque chose de bien plus grand, et les enfants, loin d’être un obstacle, lui son d’un précieux secours dans son accomplissement. « Les fils qu'un homme a dans sa jeunesse sont pareils à des flèches dans la main d'un guerrier. Heureux l’homme qui en remplira son carquois. » (Ps 127,4-5) De voir le fils schizophrène de Marcel Barbeau présenter ses toutous m'a fait penser aux cultes à Moloch. L'Art ne peut pas être une idole. À son mieux, elle est un moyen d'atteindre le créateur.

Bach disait: « Le but de la musique devrait n'être que la gloire de Dieu et le délassement des âmes. Si on ne tien pas compte de cela, il ne s'agit plus de musique mais de nasillement et beuglement démoniaques. » C'est aussi vrai pour la peinture et pour toutes les autres formes d'art.

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