vendredi 16 août 2013

Tyrannie du Refus

Ma lecture suivie du Refus global pouvait donner l’impression que j’aurais préféré vivre dans le Québec d’avant la Révolution tranquille. Il n’en est rien. Ma lecture se voulait un peu humoristique… Meilleure chance la première fois.

Madame Manon Barbeau n’a pas réagi à mon article suivant qui se voulait plus sérieux. Mais je doute qu’elle apprécie ma lecture suivie. Après tout, on espère tous ne pas avoir à vivre le rejet (ou le refus) qu’elle a eu à vivre. Mais puisqu’il en est ainsi, autant que ce soit pour quelque chose de grand. Or ma lecture pouvait laisser croire que je ne vois rien de grand dans le manifeste des Automatistes. C’est faux. Le titre l’indique assez bien : il s’agit de faire exploser, pas de fonder. Ils savaient cela, les Automatistes. Ce sont leurs successeurs qui ont voulu fonder sur la dynamite.

Dans le film de Manon Barbeau, la personne la plus intelligente me semble être le fils de Borduas. Il dit entre autres (je cite de mémoire) : « Mon père voulait détruire les anciens mythes. Mais il est très difficile d’en forger de nouveaux. » C’est à cette tâche que nombre de poètes, penseurs, universitaires et artistes se sont essayés par la suite. Les résultats ont été désastreux quand ils n’ont pas été simplement risibles. Une « mythologie » sur laquelle s’est appuyé tout l’Occident pendant 18 siècles ne se remplace pas comme ça. On s’essaie et on se rend compte qu’il ne s’agit que d’une mise à jour poche de la « mythologie » que le christianisme a renversée d’une pichenotte. Dès lors, tout est à recommencer, et c’est peut-être pourquoi les mouvements chrétiens qui se réfèrent aux premiers siècles de l’Évangile ont plus de succès aujourd’hui que les autres.

Comme texte fondateur, le Refus global a institué dans la psyché collective un réflexe de… refus. Ce réflexe est présent dans toutes les sociétés occidentales mais il est particulièrement marqué ici. Depuis ce temps, notre choix le plus naturel est : « Aucune de ces réponses ». Du coup, le « blocus spirituel » que dénonce Borduas s’en est trouvé terriblement renforcé. Nous sommes pris au Québec dans ce que j’appellerais la tyrannie du refus. Il y a chez nous une injonction au refus qui nous empêche de faire des choix conscients au moment où il faudrait volontairement et librement faire ces choix.

Or, ce que Kierkegaard appelle le saut de la foi implique toujours un choix volontaire et conscient. Ce que nous choisissons au Québec est toujours quelque chose qui s’est imposé à nous parce que nous ne voyons pas que nous l’avons adopté par choix. C’est comme une amnésie sélective. Nous nous retrouvons à défendre une option qui semble aller de soi parce que nous ne nous rappelons plus ce moment précis où nous eu à faire le choix de cette option parmi d’autres au moins aussi valables. Et dès lors, cette option s’impose à nous comme la couleur du ciel. Le ciel est bleu, mais je n’ai pas eu à le choisir, et ceux qui disent qu’il est vert sont fous ou daltoniens, infirmes de toutes les façons…Ce qui explique que les Québécois répugnent tant à débattre : comment discuter avec quelqu’un qui est convaincu que le ciel est vert? En effet, mais il ne s’agit pas ici de la couleur du ciel.

Il y a eu un moment où l’option de la croyance en Dieu s’est présentée à un athée convaincu (comme, disons, Richard Martineau) avec tous les arguments (ou plusieurs d’entre eux) qui font que tant de gens indiscutablement intelligents croient en Dieu et même en l’Église apostolique romaine. Il a choisi, mais choisir signifie nécessairement ACCEPTER. Ce qui va à l’encontre du dogme du refus que le manifeste automatiste a institué dans l’esprit des gens. Du coup, le seul moyen de ne pas se prendre soi-même en flagrant délit de contradiction avec ce dogme, est d’oublier cet épisode où il a fallu faire un choix (donc accepter), et donc dire que l’athéisme n’est pas une question de choix mais de lucidité élémentaire, comme la perception du bleu du ciel n’est qu’une question de bon fonctionnement du système oculaire.

Or à ce jeu, la foi ne peut pas être de taille puisqu’elle implique toujours, pour être valable, un choix éclairé et conscient, donc une acceptation volontaire. Contre le refus. C’est seulement après cette acceptation que doit venir le refus. Car si on refuse la globalité des options, il n’y a plus d’acceptation possible, du moins d’acceptation consciente. Dès lors, un Richard Martineau n’est plus conscient que son athéisme est le fruit d’un choix. Il n’y a jamais eu de choix. Dieu n’existe pas et c’est tout. Et alors? Tu acceptes pourtant que tu es là? Comment l’expliques-tu? Le hasard? La sélection naturelle? Et il se retrouve à placer ces causes possibles de son existence sur le même plan que le bleu du ciel ou la rotondité de la Terre, ce qui relève de la plus colossale idiotie, le degré zéro de la pensée.

Il est à la mode de plaider la folie au tribunal. C’est ce que ces gens seront réduits à faire devant le Tribunal céleste. Je doute qu’il soit aussi bienveillant que notre système de justice l’est présentement. On sait que près de la moitié des verdicts de non-responsabilité criminelle au Canada sont prononcés au Québec. J’ai très envie d’y voir une conséquence plus ou moins directe de cette tyrannie du refus qui nous a été inculquée avec le Refus global. Cela dit, il est possible que tout ça ait été nécessaire. On a simplement réagi à l’injonction contraire qui était une tyrannie de l’acceptation. Pas besoin de faire un dessin, je pense. Sans doute qu’on en était là, dans le Québec de l’époque. Il faut seulement considérer ceci qui me semble définitif :Ce n’est pas parce que la Vérité a cessé d’être imposée qu’elle a cessé d’être… la Vérité.… avec son pouvoir libérateur révélé dans saint Jean (8, 32).

Le Québec de l’époque a vécu une situation inédite par rapport aux autres sociétés totalitaires (qualifions-la ainsi pour le moment). Normalement, ce qui est imposé, c’est ce qui n’a pas de bon sens. C’est d’ailleurs pour ça qu’il faut imposer. Le désir de vérité que porte tout homme lui dit que ça n’a pas de bon sens, mais l’autorité extérieure lui impose de l’accepter.

Dans le cas du catholicisme, les autorités ne se battent pas contre l’intuition du vrai mais contre la tyrannie des instincts. On se dit : puisque ce dogme a été imposé, ça doit vouloir dire qu’il est faux. Or qu’arrive-t-il lorsque ce dogme, pour avoir été imposé, n’en demeure pas moins conforme à la Vérité?On n’a pas envie que ce dogme soit vrai, non parce que notre intuition du vrai se révolte, mais parce qu’il va à l’encontre de notre instinct charnel.

Dans le premier cas, l’autorité en place devra user de méthodes coercitives fortes pour convaincre que le mensonge est vérité.

Dans le second cas, la coercition s’apparentera à celle dont usera des parents sévères voulant ramener son enfant dans le bon sens. La coercition ne pourra évidemment pas aller jusqu’aux camps de travail et aux famines provoquées. Viendra un temps où il devra se résoudre à laisser partir l’enfant en espérant qu’il tire les leçons qu’il faut de ses expériences et déceptions.

C’est la raison pour laquelle on a pu parler de Révolution TRANQUILLE, qui est un cas sans précédent, si je ne m’abuse, dans l’histoire humaine. Jacques Parizeau lui-même le signalait, dans une entrevue récente. Lorsque les acteurs principaux de la Révolution tranquille sont allés rencontrer les dirigeants de l’Église de l’époque pour exiger la prise en charge de la santé et de l’éducation (qui représenteront bientôt à eux deux les trois quarts de toutes les dépenses de la province) ils ont été renversés de se faire répondre : « Parfait, si c’est ce que vous voulez. On signe où? » On n’aurait jamais vu ça dans une société totalitaire au sens où on l’entend généralement.

Pourquoi ça s’est passé comme ça ici et pas dans les autres dictatures? Pour la bonne raison que ce qui était imposé ici n’était pas des théories fumeuses visant à remplacer une « mythologie » millénaire, mais la Vérité même. Quand le refus se veut global, ça signifie qu’il doit inclure dans sa globalité la Vérité même. C’est ce qui nous est arrivé.

Maintenant, il ne faudrait quand même pas exagérer. Il y a la Vérité et il y a la forme, l’écrin dans lequel elle est présentée. Et il y avait sans doute là beaucoup de choses à refuser. Pour cela, on peut remercier chaleureusement Borduas et sa bande.

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