samedi 10 août 2013

Miettes

Pourquoi Chanoine Groove? Parce que ça sonne bien, non? Mais encore?



J’ai terminé mon dernier article (sur le chapelet) en citant saint Paul : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. » (Ga 2,20) Si le Christ ne vit pas en nous, nous ne pouvons faire, dire ou penser rien de bon. Même qu’on ne peut rien faire du tout, si on en croit l’Évangile de Jean (15,5). Ça semble un peu exagéré, il y a plusieurs non-chrétiens qui ont fait de bien bonnes choses… Gandhi n’est pas un bon exemple puisqu’il dit lui-même avoir fondé son action sur le Sermon sur la montagne. Mais des philosophes, Platon et Aristote en tête, ou des sages d’Extrême-Orient comme Confucius ou Bouddha ont certes fait et dit des choses bonnes et significatives. Bien sûr, mais lorsque c’était le cas, c’était Christ qui agissait ou parlait en eux. 

La Vérité (Christ lui-même dans Jean 13,33) s’est retrouvée partiellement dans tous les systèmes philosophiques et religieux qui ont eu suffisamment de solidité pour que des bribes puissent s’être rendues jusqu’à nous.

Les exemples pullulent, et font dire aux sceptiques que le christianisme n’est qu’une vaste entreprise de récupération. On connaît l’argument : il y a la Vierge-Mère en Égypte, il y a le dieu Hadad qui meurt et renaît trois jours plus tard, il y a Orphée qui revient des enfers, il y a une triade en Mésopotamie, Madeleine est une version d’Aphrodite, la Passion s’inspire de l’Apologie de Socrate… et le Christianisme n’est qu’un gros melting pot de tout cela. Cette hypothèse suppose, de la part de ces gens qui auraient forgé le christianisme de toutes pièces, une culture philosophico-religieuse tellement vaste et profonde qu’elle donne le vertige. D’avoir réussi à mettre tous ces éléments ensemble pour faire un tout assez cohérent pour qu’il tienne encore aujourd’hui, et assez simple pour que ma grand-mère soit capable d’y trouver son compte, relèverait d’un prodige unique dans l’histoire de la pensée humaine. Ce qui est beaucoup plus probable (je pèse mes mots), c’est que les religions et philosophies païennes précédentes avaient toutes une partie de la Vérité qui s’est exprimée dans son entièreté lorsque cette Vérité même s’est incarnée. S’en est suivi l’Évangile, qui est l’expression écrite de cette Vérité, accessible et adaptable à tous, selon toutes les conditions, de l’illettré au post-docteur en philosophie.

Du coup, j’éprouve une étrange émotion de percevoir cette Vérité dans une tragédie grecque ou dans une cosmologie aztèque, comme une éclaircie dans des ténèbres d’erreurs. Car s’il n’y a que de l’erreur, l’humanité ne survit pas. C’est pourquoi il faut que la Vérité soit présente, même de façon restreinte, si on veut que les Mayas, par exemple, puissent former une civilisation assez durable pour qu’on puisse aujourd’hui la connaître un tant soit peu. Car si la Vérité c’est la Vie (toujours Jean 13,33), alors le mensonge c’est la mort. Saint Paul ne parle pas d’une Vérité qui serait inexistante mais d’une Vérité qui serait « tenue captive » (Romains 1,18). Elle est donc bien là, séquestrée dans des systèmes qu’elle soutient et qui s’écrouleraient sans elle, mais où elle ne peut s’exprimer dans sa pleine mesure parce qu’elle doit ménager l’erreur qui lui est accolée.

S’il en est ainsi des systèmes philosophiques et des cosmologies antiques, il en va de même de toutes les disciplines, même les plus modernes. D’ailleurs, dans le passage que je viens de citer, saint Paul semble incriminer les scientifiques de son époque, capables, eux, de percevoir l’incroyable harmonie du monde mais refusant de faire le pas évident qui doit logiquement suivre et qui consiste à admettre simplement l’évidence inéluctable d’une intelligence ayant permis cette harmonie. Cet argument, qui présume de la mauvaise foi de toute personne se disant athée ou même agnostique, est toujours valable aujourd’hui. La physique quantique, la sélection naturelle et les dernières découvertes de la cosmologie la plus poussée n’y changent absolument rien, et c’est bien « tenir la vérité captive » que de laisser supposer le contraire.

Il en va de la science et de la philosophie comme de tout ce que la vie compte d’enthousiasmant. (D’ailleurs le mot enthousiasme signifie étymologiquement dieu-dedans.) Le rock par exemple. Je ne suis pas Edgard Fruitier mais je suis aussi mélomane que l’on puisse l’être dans cette branche de la musique en général (testez-moi pour voir…) Je peux également dire que je fais partie de ceux dont parle Lou Reed dans le dernier vrai album du Velvet Underground et dont la vie a été sauvée par le rock’n’roll. Je sais, ça fait très racoleur et je m’en excuse. Mais j’ai eu une formation philosophico-religieuse assez frugale, et comme je disais tout à l’heure, il faut un peu de Vérité pour que l’homme puisse vivre. Certains semblent avoir une constitution solide qui leur permet de se priver pendant de longues périodes sans mourir. Ce n’était pas mon cas. Mon anémie m’était insupportable et j’ai plusieurs fois voulu en finir pour cette raison.

Il a fallu que je trouve une façon de m’alimenter et cherchant à travers la poussière et les détritus les miettes de pain tombés de la table des maîtres et que les petits chiens n’avaient pas encore flairés. Je n’avais pas le choix. Car le catholicisme, tel que me l’enseignaient les agents de pastorale et les profs d’enseignement religieux du Québec des années 80 et 90, ça ne pouvait pas être une option. C’est bien beau avoir faim mais un gars a quand même sa fierté! Ou était-ce de l’orgueil? Peut-être que ce n’était pas aussi mal que je me l’imagine dans mon souvenir. Difficile à dire, c’est un mystère que je ne suis pas sûr de parvenir à élucider un jour. Je ne pense pas que ces gens disaient des conneries et ils étaient de bonne foi. Mais ils avaient une façon de ne pas me rejoindre qu’il leur aurait été très difficile d’obtenir s’ils avaient consciemment voulu qu’il en soit ainsi. J’étais pourtant un adolescent tout ce qu’il y a de plus ordinaire, ni trop nerd ni trop rebelle, comme il y en avait plein dans le Québec de l’époque…

Bref, le résultat a été que la Vérité pour laquelle je languissais devait bien exister mais qu’elle pouvait se trouver n’importe où sauf là. Oui, là! Où elle est en réalité, dans toute sa plénitude…

J’ai donc cherché partout ailleurs et j’ai trouvé de belles pépites à des endroits que je n’aurais jamais soupçonnés. À travers beaucoup de bouffe à cochons, cela va sans dire… Un de ces endroits a été le rock. Ça été le point de départ d'un long, long cheminement.

1 commentaire:

  1. Ton meilleur texte à présent. Il transpire l'authenticité.

    C'était aussi mal que tu te l'imagines dans ton souvenir, cette pastorale insipide. Rien de mieux pour braquer toute une génération contre la foi.

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