jeudi 22 août 2013

Asphyxie

C’est lorsqu’il en est venu à circonscrire le mal absolu dans une réalité tangible et facilement identifiable qu’un gouvernement se croit permis de passer des lois qui bafouent les droits les plus fondamentaux de ses citoyens. Il peut bien être conscient que le sacrifice exigé des gens est terrible, mais il se dit qu’en bout de ligne, ce sacrifice doit mener à une société totalement libérée du mal, projet pour lequel on ne doit tolérer absolument aucun obstacle.

C’est ce que l’histoire du XXe siècle aurait dû nous apprendre. Malheureusement j’ai l’impression que nous sommes en train de tomber dans un piège similaire… Je ne m’explique pas autrement le fait que nous nous apprêtons à faire ce que nous n’avons jamais fait dans notre histoire, il me semble : bafouer tout un article (le 18) de la Déclaration des droits de l’homme, qui garantit la liberté non pas uniquement de pratiquer une religion mais de pouvoir la manifester publiquement

Il faut que l’heure soit grave, aux yeux du gouvernement péquiste… Voyez-vous, on réfléchit depuis des millénaires sur la notion de bien et de mal. On a pensé pendant quelques siècles que le mal était d’abord en nous, idée qui persiste dans l’esprit de certaines personnes peu éduquées que vous me pardonnerez de citer : « Si ça sent la marde partout où tu vas, il y a des chances que… » Mais laissons ces grossièretés d’un autre âge… Jean-Jacques est venu et on sait maintenant que le mal est à l’extérieur… On ne s’entend seulement pas sur son identité exacte. 

On a pensé que c’est le Juif, on a pensé que c’est le Capital… De plus en plus de gens pensent que c’est la Religion, ce qui serait un peu problématique pour nous, Québécois… Malgré les efforts considérables déployés, l’histoire d’avant Expo67 n’a pas encore été totalement effacée de l’esprit des gens. Notre existence de Canadiens-français est si évidemment le fruit de l’activité religieuse que de dire que la religion ne fait que du mal revient à identifier le mal à notre réalité profonde. Il y a des limites à la haine de soi que nous refusons toujours de franchir, en attendant notre consentement prochain au suicide collectif.   

Non, nous ne sommes pas le mal, et le mal n’est pas la Religion avec un grand R, du moins pas encore… Non le mal, tenez-vous bien, le mal c’est l’Extrémisme religieux. Voilà bien quelque chose sur laquelle on s’entend, quelque chose qui fait consensus. Bien sûr, bafouer la Déclaration des droits de l’homme, c’est quelque chose de gros. Mais l’élimination de l’extrémisme religieux, vous imaginez!

Le problème c’est que le Québec comme peuple n’est pas seulement le fruit de l’activité religieuse mais aussi le fruit de… l’extrémisme religieux. Il n’y a qu’à lire les Relations des Jésuites pour s’en rendre compte. L’extrémisme religieux, ce n’est pas seulement des crétins qui mettent des bombes partout. Pour prendre un exemple récent, je dirais que Gilles Kègle est un extrémiste religieux. Passer 16h par jour, sept jours par semaine, à parcourir les lieux les plus crottés et malfamés d’une ville pour s’occuper des pauvres parmi les plus pauvres est une action qu’on pourrait qualifier d’extrême. Et c’est la religion qui lui a inspiré cette action, plus particulièrement le chapitre 25 de l’Évangile de saint Matthieu. 

Gilles Kègle est une figure connue. Mais à côté de lui, des centaines d’hommes et de femmes s’adonnent à une forme d’extrémisme religieux sans laquelle notre société ne serait pas ce qu’elle est. Vous comprenez bien ce dont je veux parler : une forme d’extrémisme positif… Mais on se dit que l’extrémisme négatif est tellement terrible qu’il convient de sacrifier l’autre forme d’extrémisme pour en être gardé à jamais. Je doute qu’on y parvienne. Cette charte ne va contribuer qu’attiser les passions, ça me semble clair. Car voyez-vous, il y a un principe de base, rien de bien transcendant, que nous avons un peu oublié. C’est que la possibilité du meilleur entraîne toujours la possibilité du pire. Or le réflexe qui consiste à vouloir sacrifier le meilleur pour être gardé du pire nous confine dans un entre-deux qui est pire que tout. Un entre-deux dans lequel notre société est en train de s’asphyxier.

2 commentaires:

  1. C'est remarquable que tu évoques le péché originel au même moment où un intégriste laïciste qui s'appelle Jacques Legare publie ce fatwa où il oppose le "progrès" et le péché originel:
    http://quebec.huffingtonpost.ca/jacques-legare/religions-disparition-mefaits_b_3781373.html

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  2. Un libre-penseur-et-adepte-des-lumières. Ça ça fait mal, comme disait Édouard Carpentier.

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